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Le hurlement des sirènes nous arrivait comme un rot géant du fond de la rue… A travers mon bonnet, à travers le casque de mon baladeur… En hiver, vers sept heures…Pompiers …. POMPIERS POMPIERS POMPIERS… C’est vers nous que ça se dirigeait. Autours de moi ça commençait déjà à lever les yeux pour voir de quel étage sortaient les flammes, de quelle fenêtre ne pourrait s’échapper personne… Mais les trois camions sont passés devant le coulis de vieux à toute berzingue… la traînée rouge.
YAPALFEU :
"C’était du lourd, mais c’était pas ici…" qu’il a dit le monsieur, les mains dans le dos, à la dame qui fumait sa clope jusqu’au filtre en louchant sur le si petit brasier. Comme un train qui ne s’arrête pas, qui laisse ceux qui auraient pu être des badauds contents à leur quotidien sans encombres… "Adios" le fait divers qu’on pourra pas se raconter devant les canelloni. Y aura toujours les infos… mais c’est pas pareil.
Aux infos, on a l’impression que c’est toujours les mêmes enfants qui disparaissent, les mêmes vieux acteurs qui meurent, les mêmes types qui gagnent… Là, on lit la déception sur les visages, ce petit moment où, les sacs de courses dans les mains, on fixe d’un regard honnête le drame qui s ‘en va.
C’est pas du vice. On aime bien se voir entre ouverts, le sang qui sent, qui bouge, celui des autres, ça nous éloigne de notre propre souffrance, du bruit de nos gémissements, ces plaintes qu’on ne pense adresser qu’à nous même…
Je me suis engouffrée dans le métro. Sale parisienne de manie le métro. Dans la rame presque vide, un homme inspiré m’adresse un “Bonjour mademoiselle Babouin”… ( la majuscule c’est de moi) C’est juste assez con pour qu’une femme se retourne, mais pas assez pour qu’ un homme intervienne… Il sortait à la suivante… C’était lui ou moi… Une belle nana lit un Sepulveda. Elle à l’air d’apprécier, tourne ses pages très vite, mais regarde quand même celui qui lui lèche les jambes du regard… Je devrais lire un peu Sud américain mais je préfère les auteurs venus du froid. Un jeune garçon arbore un T.shirt “Fuck You”… Je n’ai aucune envie qu’il se tourne vers moi. S’exprimer en sept lettres. Celles là ne sont pas pires que les autres….Faudrait tourner ça à la française…”Dis toi que tu vis autours d’un anus”… sur un beau maillot blanc. C’est plus long, certes mais il y a du style. Je n’ai qu’à tourner la tête pour lire… tout est plein de ces signes, les mêmes que je m’acharne à manipuler pour en extraire chaque jour un peu plus d’amertume. Lire sans s’encombrer… Ca me ferait mal…. Tout ça c’est que des interférences… ça me bouffe le cohérent.
Savoir lire est irréversible. Les “prière de…” inoffensives, en carapace de courtoisie… Rien de plus puant que la courtoisie, ce doigt rutilant qui n’atteint jamais la chatte. Pas de place pour la pureté. A moins de désapprendre… à moins de tuer…tuer les alpha-bêtes pour prévenir la peste… la frappe d’anticipation. C’est que je m’énerverais…
“Le beau, le Vrai et le Juste, sont une même chose”
Platon, été 36.
Putain, c’est beau comme un blond.
“Je descends ici.” Je répète trois fois… je descends… lassée. Seuls les gens qui ne prennent que peu de place se poussent… en s’excusant. Je remonte vers la lumière, artificielle, coordonnée… De la lumière, même pleine de colorant, ça fait du bien.
Ca creuse tout ça. Je mangerais bien du précuit, parce que mâcher ça endort… Un “M” gèant scintille devant moi, luisant comme une belle paire de bottes à la mode “Wehrmacht”…mais le téléphone sonne, on vient me suggérer de boire.
Le bar est à deux stations. Marcher, marcher encore… le bruit de mes talons dans les dents. Je repense à”mademoiselle babouin ( “petit b”)… Me sens pas belle tout d’un coup. Moche moche moche… Rouge à mes lèvres, vite. La pastille pourpre, ça me donne un air de femme qui se respecte, ou l’air de quelqu’un qui a envie de sexe, les deux fonctionnent. L’alcool, de toute façon, finit par unifier. J’allais rejoindre ma bande, tous perdus, au même endroit… pendus à leurs verres sans fin et à leur cigarette sans filtre. Ben, le serveur est triste. “Momo est mort hier”… C’est le petit rebeu à moustache qui buvait des bières à côté des chiottes. Le roi des mots croisés, on l’appelait “Momo Croisé”… Trente ans qu’il venait. Pile mon âge, mais je le remettais pas… Ca n’empêchait pas les larmes de monter. Un inoffensif, de ceux qui n’attendent pas de voir passer les pompiers, ou alors… pour filer un coup de main. Ya pas de justice, mais ce qui compte, c’est l’énergie qu’on met à avoir l’air de s’en émouvoir. Cette journée, je me la repasse dans la tête, mais rien, rien n’est en ordre… je fermerais bien les yeux… pour commencer, m’abandonner aux crissements d’une voiture.
Un Break bourré de gens heureux, sur le trajet du parc Asterix… Un accident à couper l’appétit, malgré le doux parfum des pâtes croulant sous la sauce. Bah… Je m’ennuie comme Sophie la girafe au fond d’un carton dans la cave… voudrais bien couiner un peu. Un ami me parle de ses conquêtes, avec des détails sordides, même qu’ il a encore un peu de la dernière sur son pantalon. Dans la grande histoire humaine, les Conquêtes se sont souvent avérées être des Erreurs… Aimer. Je devrais me rénover en amour… Retoucher la brochure, revoir la notice, et déchirer la posologie… Rien ne vaut un indifférent, celui qui sait comment se faire les dents sur votre impatience… destituer un tyran pour en couronner un autre. Pauvre conne, t’as la pensée captive… tu t’étourdis d’un rien, la braise qui danse, qui contourne les flaques d’eau pour mieux tomber dans les rivières… Je vis formidablement de mon art. Autant dire que je vis de peu. Boire au dessus de ses moyens. Recoudre ses poches de peur de perdre ses petits riens dans la doublure. Le froid dilue la couleur dans les Gris… le blanc étourdit, mais l’hiver donne envie d’ivresse. J’ai déjà trop bu. Avec un petit peu de malice, je pousserais quelqu’un au drame… ou dans mon lit, si j’avais eu un lit vacant… Avec un peu de malice, j’aurais pu tout avoir, mon trois pièces parquet baignoire, un boulot moins stupide, et surtout pas cette frousse de rentrer. Un philosophe a dit “On a besoin d’ordre pour vivre et de désordre pour survire.”J’en suis ravie…
Le ciel me regarde, des étoiles plein la gueule, ou des petites choses qui brillent sur le bitume mouillé… Je sens comme des bras, ils parlent de moi “il faut la retourner, elle s’étouffe dans son vomis.”
Sirène il y a… Mesdames et messieurs tenez vous prêts, cette fois ils s’arrêteront, et ce sera pour moi.